Langue française : son origine et son évolution
depuis le temps des Gaulois
Le problème de l’origine de notre langue a
reçu depuis le XVIe siècle les solutions les plus diverses ; on a tour à
tour rattaché le français au grec, au celtique, au germanique, à l’hébreu, à
d’autres langues encore. Il semble en réalité que le français dérive du latin importé en Gaule après la conquête de César,
et qu’il commence de s’en affranchir après que la chute de l’empire romain et
les invasions barbares aient isolé notre territoire des autres contrées
européennes.
Quelles sont les
caractéristiques de ce latin et la façon dont il avait donné naissance au
français ? On reconnut dès l’abord que la langue importée en Gaule par les
colons, les marchands ou les fonctionnaires ne pouvait pas être identique au
latin des auteurs classiques ; les Latins ne devaient pas plus parler la
langue de Cicéron ou de Sénèque que nous ne parlons le français de Voltaire ou
de Chateaubriand. On distingua donc du latin littéraire, en partie fixé par la
tradition, un latin vulgaire, langue parlée, beaucoup plus libre dans son
développement, sans être d’ailleurs, comme on l’a dit trop souvent, la langue
du bas peuple, l’argot des soldats ou le patois des colons italiens.
Les grandes
invasions barbares aux IVe et Ve siècles
Les
origines
On s’est
essayé à faire revivre ce latin vulgaire. Les inscriptions, les textes de lois,
les ouvrages techniques, peu sérieux en général de la pureté de la langue, les
auteurs comiques et les conteurs, qui ont tenté de reproduire la langue parlée
autour d’eux, les grammairiens enfin qui relèvent pour les corriger les
habitudes de langage de leurs contemporains ont fourni de précieuses
indications ; mais ces documents trop peu nombreux ne suffiraient pas à
nous permettre une reconstitution même très incomplète du latin vulgaire, ni la
comparaison des langues romanes. Les conclusions que l’on en peut tirer sur
l’état de la langue qui leur a donné naissance ne viennent pas suppléer à la
pauvreté des autres témoignages.
Importé en
Gaule, ce latin se transforma par d’insensibles modifications jusqu’à devenir
la langue que nous parlons. Il n’y eut pas de déformation brusque et immédiate
dans la bouche des Gaulois, le français ne naquit pas tout d’un coup du latin
et la conception ancienne d’une langue mère et d’une langue fille a cédé la
place à la notion plus exacte d’un même langage se perpétuant de siècle en
siècle, tout en se modifiant sans cesse, et dont nous ne pouvons que par une
abstraction distinguer et nommer de noms différents les périodes successives. Il
est fort douteux même que l’idiome celtique des Gaulois ait eu sur l’évolution
du latin en Gaule une influence décisive.
Dans le
français les « celtisants » contemporains ne trouvent plus à
revendiquer pour le celtique, avec un assez grand nombre de noms de lieux, que
quelques suffixes, une ou deux constructions syntaxiques et peut-être autant de
tendances phonétiques. Cela ne suffisait pas à distinguer bien vite le latin
parlé en Gaule du latin parlé en Italie ou en Espagne, et d’ailleurs les
communications entre les provinces semblent avoir été longtemps actives pour
maintenir dans toutes les parties de l’empire romain une sorte de langue
commune, identique, au moins pour les traits les plus importants.
Au Ve
siècle, après les invasions barbares et la ruine de l’empire d’Occident, les
communications sont interrompues, les provinces s’isolent ; c’est alors
que les langues romanes commencent à se développer indépendamment les unes des
autres, et c’est là qu’il faut placer la limite, arbitraire, mais nécessaire,
entre le latin et le français. Les débuts de notre langue, du Ve au
IXe siècle, sont des plus obscurs. Les changements importants
survenus pendant cette période paraissent avoir été assez rapides ; non
qu’il y ait eu, comme on l’a dit, un bouleversement de la langue à cette
époque : le langage étant fait pour être compris d’un grand nombre
d’individus et de générations différentes, on conçoit qu’il soit soumis à des
changements successifs, non qu’il s’y produise des bouleversements ; mais
l’isolement des provinces, l’ignorance, le manque de tradition, l’apport par
les envahisseurs de mots et de tours germaniques, ont pu hâter l’évolution du
latin. Malheureusement, les documents linguistiques sont rares pour cette
période, où les clercs, seuls écrivains, cherchent à imiter le latin classique
et évitent de leur mieux d’écrire en ce latin très modifié, qui se parle autour
d’eux, qu’ils parlent eux-mêmes et qu’ils appellent « la langue
rustique. » II est vrai que leur latin factice est étrangement barbare et n’arrive
pas toujours à nous masquer la langue vulgaire.
Le Moyen Age
Au IXe
siècle apparaissent les premiers textes français et avec eux nos
connaissances se précisent. Nous voyons le français, c’est-à-dire le dialecte
de l’Ile-de-France prendre peu à peu le pas sur les autres dialectes du nord
de la Gaule, leur disputer le terrain, les pénétrer eux-mêmes profondément
jusqu’au moment où, enrichi et assoupli par l’usage, il devient au XIIe
et au XIIIe siècle cette belle langue du Moyen Age, jadis traitée
de jargon, encore trop souvent considérée comme une langue incomplète et
informe, et que la science contemporaine a réhabilitée.
Mais,
dès le XIVe siècle, la ruine de la langue du Moyen Age est
commencée et au XVIe siècle elle sera complète. Cette
transformation accomplie au XIVe et au XVe siècle, est
apparue à quelques-uns comme une véritable révolution. Ici encore des
changements vastes et profonds ont pu s’effectuer avec rapidité, mais ils
étaient préparés dès longtemps et ne s’imposèrent que peu à peu. C’est ainsi
qu’un des traits distinctifs de la langue du Moyen Age, la déclinaison à deux
cas (sujet : li murs, complément : le mur) disparaît
d’abord sur des points isolés et dès le XIIIe siècle pour ne
s’effacer complètement qu’à la fin du XIVe.
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Fabrication d’un manuscrit au Moyen Age
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C’est
ainsi encore que l’introduction en français de mots pris au latin des livres,
très considérable à cette époque, avait commencé bien avant le XIVe
siècle, et remonte dans ses origines aux premiers temps de la langue. Bien
avant la Renaissance classique s’était constituée une langue littéraire, dont
le développement ne reflétera plus exactement le développement spontané de la
langue parlée, avec une syntaxe et un vocabulaire spéciaux et très latinisés,
avec une orthographe traditionnelle et à prétentions scientifiques que les
siècles suivants nous ont transmise à peine amendée.
La
Période moderne
L’histoire
de la langue depuis le XVIe siècle est restée le domaine des
historiens de la littérature. Elle se limite donc à la langue littéraire, et
non pas même au développement de cette langue, mais aux caractères particuliers
qu’elle revêt chez un auteur ou dans un groupe d’écrivains. Enfin, elle dépasse
rarement ce qu’il y a de moins profond dans une langue, mais qui est aussi le
plus immédiatement utile à l’intelligence d’une œuvre : le
vocabulaire ; ce que nous connaissons le mieux de la langue française
depuis le XVIe siècle, c’est le lexique, ou plutôt l’usage lexical
de quelques auteurs.
Méthode et exercices de langue française
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Ces
travaux lexicographiques sont surtout intéressants pour le XVIe siècle,
époque où le vocabulaire français a été fortement modifié : l’étude des
littératures anciennes, la nécessité d’exprimer les idées que l’on puisait
aux sources classiques, accrut le nombre des mots savants empruntés au latin,
pendant que l’extension des relations commerciales, artistiques et politiques
avec l’Espagne et l’Italie faisait adopter une foule de mots étrangers ;
les violentes protestations de Henri Estienne contre le « français
italianisé » n’arrêtèrent pas plus ce mouvement que la satire par
Rabelais de la « verbacination labiale de l’escholier limosin » ne
diminua les emprunts au latin des livres.
Cette
langue très riche, mais un peu trouble, qu’avait élaborée le XVIe siècle,
subit au siècle suivant deux tentatives de réforme et de réglementation. Le
lexique s’épure, les règles grammaticales s’établissent, la bonne
prononciation s’impose, et surtout, par élimination et régularisation, se
constitue la langue classique, pure, noble, simple et un peu sèche, où l’on
reconnaît d’ordinaire la plus belle forme de la langue française. Mais ce
n’est là qu’une régularisation savante d’une langue déjà artificielle, et
nous voilà bien loin du développement libre de la langue parlée. Depuis le
XVIe siècle la langue littéraire et la langue parlée ne furent pas
sans s’influencer l’une l’autre. Souvent même on distingue à peine, dans
l’évolution de la langue, ce qui est spontané et ce qui est dû à l’influence
des grammairiens. Cette influence réciproque ne fait que grandir au XVIIIe
siècle.
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Le
développement de la culture littéraire, la lecture et l’imitation des œuvres du
XVIIe siècle devenues classiques, le progrès du français dans
l’enseignement tendent à rapprocher la langue parlée de la langue littéraire.
En même temps, la langue écrite devait, pour répondre aux besoins sociaux et
aux préoccupations nouvelles, subir, au moins pour le vocabulaire, de profonds
changements. La pureté un peu factice du XVIIe siècle disparut comme
s’était détruite l’harmonie naturelle du Moyen Age. La langue cesse d’être un
moyen d’expression artistique, elle devient pour les savants et les philosophes
un moyen d’action ; les termes techniques et les mots étrangers la
pénètrent ; la phrase se fait plus vive, moins oratoire, la langue écrite
se rapproche de la langue parlée et entre les deux la presse périodique va
entretenir de perpétuelles relations.
Le XIXe
siècle achève ce travail de fusion. La réaction romantique brise les cadres
étroits du lexique classique et « met un bonnet rouge au vieux
dictionnaire ». Dans la deuxième moitié du siècle, c’est la syntaxe
classique qui se désorganise, tandis que la presse, de plus en plus répandue et
d’influence plus considérable, tend sans cesse à vulgariser la langue
littéraire et à retenir dans son évolution la langue parlée.
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